Les Anges du péché

Publié le par Robert Bresson

Les Anges du péché est un film français réalisé par Robert Bresson, sorti en 1943. Anne-Marie, qui vient de prendre le voile dans une congrégation religieuse dévouée aux femmes emprisonnées, s’évertue à aider l’une d’entre elles, Thérèse, sans grand résultat. Cette dernière, une fois libérée, assassine celui qui fut la cause de son incarcération et se réfugie au couvent. Elle créera un trouble de conscience chez Anne-Marie et provoquera même son renvoi des ordres.

Anne-Marie ira jusqu’au sacrifice final pour la rédemption de Thérèse. "Les anges du péché" peut être considéré comme le premier film de Bresson, le réalisateur ayant toujours refusé la distribution de son premier court métrage burlesque "Les affaires publiques". Il est passionnant de voir à quel point, dès ce film, Bresson a déjà une idée très claire des règles, aussi bien scénaristiques que formelles, qui régiront ses prochains films.

Plus que jamais dans sa filmographie, Bresson établit un parallélisme entre la vie carcérale et la réclusion religieuse. Quel est donc le lien entre ces modes de vie, austères l'un et l'autre, mais que l'on serait tenté de dire subi pour le premier et choisi pour le second ? Ici, Bresson brouille les cartes. Les soeurs choisissent-elles vraiment d'entrer au couvent ? Dans une magnifique séquence du début du film, une jeune prisonnière convertie échappe dès sa sortie de prison à des proches belliqueux et menaçants, tandis qu'elle doit rejoindre au bout d'une rue embrumée digne d'un film noir, la voiture qui va la conduire vers le couvent. La vie monacale n'est-t-elle pas autant un refuge qu'une condition d'expression de la Foi ? Les prisonnières, que les soeurs de l'abbaye s'évertuent à convertir, auraient-elles une chance de retrouver une vie ordinaire ? Ne sont-elles pas condamnées à la réclusion religieuse?

Bresson renforce la confusion entre ces deux milieux par des effets stylistiques. Il multiplie les motifs carcéraux aussi bien dans l'enceinte de la prison que dans celle de l'abbaye. Si la prison paraît anxiogène du fait de ses portes à barreaux qui se referment devant la caméra à la moindre tentative d'évasion de Thérèse, la multiplication des jeux d'ombre avec les colonnes, les fenêtres, ou les rampes d'escaliers de l'abbaye, provoque sur les soeurs des quadrillages "dématérialisés", qui souligne une forme d'enfermement spirituel. Il insiste également sur le dénuement de l'abbaye, ses pierres lisses, ses cellules modestes, dénuement qui se retrouve dans la prison. L'art de l'ellipse, que Bresson affectionne particulièrement et qu'il signifie toujours par un fondu, abolit les frontières entre ces deux lieux, en passant sous silence l'espace à traverser afin de relier l'un à l'autre.

On perçoit déjà les éléments formels qui régiront ce que Bresson appellera plus tard le "cinématographe", soit un cinéma sans fioriture, où un élément visuel et sonore n'a de sens que s'il participe à l'histoire. On peut être frappé par le degré d'épure visuelle du film. L'architecture de l'abbaye et son aspect monochrome permet à Bresson d'éviter tout élément superficiel et ainsi d'atteindre l'histoire elle-même. L'épure touche aussi le montage. Chaque plan a son importance. Ainsi lors de la scène où Thérèse va acheter son arme, alors que le vendeur lui en explique le fonctionnement, la caméra ne se détourne pas du visage de la femme vengeresse, laissant le vendeur hors champ, les instructions de celui-ci semblent surgir de l'inconscient de Thérèse. En faisant l'économie d'un plan sur le vendeur, Bresson renforce la détermination d'un de ses personnages principaux.

Comme toujours chez Bresson, l'épure, n'a de sens que si elle permet à la mise en scène d'évoquer l'intériorité des personnages. Privé de fioriture, le spectateur doit se concentrer sur les personnages, dont le caractère complexe et ambigu apparaît pleinement. Anne-Marie est-elle une Sainte ? Rien n'est moins sûr. Le film semble laisser entendre qu'elle a choisi la vie religieuse afin de se démarquer dans une famille au sein de laquelle elle ne pouvait suffisamment briller. Peut-être est ce là l'origine de sa volonté de convertir la plus difficile des prisonnières, avant même de rencontrer Thérèse. L'ampleur de son sacrifice est aussi pour elle une façon de se démarquer des autres bonnes soeurs. Ce n'est que lorsqu'elle comprend que cela ne lui vaut que haine et mépris, qu'elle semble se tourner finalement vers Dieu, dans une superbe scène où elle l'implore seule sous la pluie, loin de toute vanité. N'est elle pas martyre avant d'être croyante ?

On retrouve ici le dilemme qui irrigue toute l'oeuvre Bressonienne : un personnage doit il être jugé pour ses pensées, ses actes ou leur ultime aboutissement ? La valeur du sacrifice d'Anne-Marie, doit-elle être atténuée par les raisons initiales qui l'ont poussée à l'effectuer ? Le héros d' "Un condamné à mort s'est évadé" doit t-il être blâmé pour avoir un temps pensé assassiner son camarade de cellule, alors qu'in fine il lui permet de recouvrer la liberté ? Les vols du personnage de "Pickpocket" sont-ils moins répréhensibles s'ils ont, en partie, pour but d'aider sa pauvre mère?

Par sa réflexion sur la morale chrétienne, que sert un style austère visant à concentrer la perception du spectateur sur l'intériorité des personnages, Bresson pose dans ce film les bases de son cinéma. Il en intensifiera la force en tournant avec ses fameux "modèles", des acteurs non professionnels rendus atones par de multiples prises, qu'il affectionnera particulièrement pour leur capacité à ne pas trahir l'histoire par l'intention. "Les anges du péché" constitue ainsi clairement le film matrice de l'oeuvre d'un des plus grands cinéastes français.

Les Anges du péché de Robert BressonLes Anges du péché de Robert Bresson

Les Anges du péché de Robert Bresson

videoFiche technique

  • Titre : Les Anges du péché
  • Réalisation : Robert Bresson
  • Scénario : Robert Bresson, Raymond Leopold Bruckberger et Jean Giraudoux dont il tirera ensuite son œuvre Béthanie (1944, Éditions Gallimard)
  • Dialogues : Jean Giraudoux
  • Musique : Jean-Jacques Grünenwald
  • Assistant-réalisation : Frédéric Liotier
  • Direction de la photographie : Philippe Agostini
  • Opérateur : Maurice Pecqueux
  • Ingénieur du son : René Louge
  • Montage : Yvonne Martin
  • Décors : René Renoux et Roger Claude
  • Scripte : Madeleine Lefèvre
  • Photographe de plateau : Rémy Duval
  • Pays d'origine : France
  • Langue de tournage : français
  • Producteur : Roger Richebé
  • Directeur de production : Dominique Drouin
  • Société de production : Synops (France)
  • Société de distribution : Les Films Richebé
  • Format : noir et blanc — 35 mm — 1.37:1 — son monophonique
  • Genre : drame
  • Durée : 96 minutes
  • Dates de sortie :
  • 23 juin 1943 en France
  • 28 janvier 1949 en Allemagne
  • 16 janvier 1950 aux États-Unis

videoDistribution

  • Renée Faure : Anne-Marie Lamaury
  • Jany Holt : Thérèse
  • Sylvie : la prieure
  • Mila Parély : Madeleine
  • Marie-Hélène Dasté : Mère Saint-Jean
  • Yolande Laffon : Madame Lamaury
  • Paula Dehelly : Mère Dominique
  • Silvia Monfort : Agnès
  • Gilberte Terbois : Sœur Marie-Josèphe
  • Louis Seigner : le directeur de la prison
  • Georges Colin : le commandant de la police
  • Geneviève Morel : Sœur Berthe
  • Jacqueline Champi
  • Bernard Lajarrige
  • Henri de Livry
  • Jacqueline Marbaux
  • Jean Morel
  • Claire Olivier
  • Madeleine Rousset

 

Publié dans Films

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